Catégories
de tout et de rien

Poème de 5b

poème de collégienÀ mon dernier déménagement j’ai réussi à perdre un objet qui m’était cher et dans lequel j’aimais me replonger : mon cahier de poèmes de la 5ème.
Je sais pas si vous faisiez ça aussi, mais nous on avait chacun le nôtre, et on se les passait entre nous dans la classe discrètement pour que chacun écrive ce qu’il pensait de nous. Ça a fini par s’appeler comme ça parce que ça tournait toujours au poème, je sais pas trop pourquoi, et Dieu sait comme on est doué en poésie quand on a 12 ans. Des fois ils disparaissaient, ils sortaient de la classe, et ils revenaient une semaine plus tard avec des poèmes de gens qu’on connaissait pas.

C’était vraiment trop bien, les cahiers de poèmes. Moi j’étais fan de Michael Jackson, alors je disais « tu me mets un max d’images de Michael OK? »
Faut se remettre dans le contexte, on devait être grosso modo en 1992, y avait pas les textos et leurs corrections automatiques qui foutent tout en l’air, là on avait les VRAIS textes des copains avec leurs VRAIES fautes d’orthographe.
On faisait d’ailleurs tous la blague des « fotes d’aurtografe » pour donner un peu l’impression qu’on le faisait exprès. Et puis pour le reste, on faisait appel à sa créativité.

Le but de tout ça, clairement, c’était d’abord de collecter de nouvelles images de nos idoles découpées dans Star Club (les plus généreux mettaient même des paroles de chanson qu’on trouvait prédécoupées au dos du magazine), mais c’était surtout de s’assurer qu’on nous aimait bien. Oui, sans faire mon psy de cours d’écoles, ça me semble limpide, on disait que c’était pour rigoler, mais on croisait les doigts pour que les autres écrivent des trucs cool.
Et moi je priais pour que Céline écrive qu’elle m’aimait de façon subtile. Ou Sophie ou Laurence.

Je crois que je me souviens du moment où je l’ai fait tourner, c’était en cours de Maths avec M. Walter, tout haut j’avais dit « ouais écrivez ce que vous voulez on s’en fout », et tout bas je pensais « pitié, pitié faites que Céline écrive subtilement qu’elle m’aime, ou Sophie ou Laurence ou Claire ».
Je n’ai plus revu le cahier pendant plusieurs jours. Il est revenu gonflé de stickers, de coloriages et de poésie prout prout. Il me semble aussi avoir retrouvé plusieurs fois le même poème écrit par des filles différentes. Le fait qu’elles recopiaient des poésies toutes faites n’était pas un secret, mais elles parvenaient à inventer des fautes en recopiant, et ça c’est une performance. Il y avait les filles, qui écrivaient sur l’amour pour toujours et l’amitié pour la vie, et nous les garçons, qui nous entre-insultions joyeusement.

C’est moche d’avoir perdu ce livre. Je me sens coupable pour tous ces collégiens qui m’avaient tout donné, à moi qui les connaissais au mieux depuis deux semaines.
Pour me faire pardonner, je veux rendre hommage à Hélène, qui m’a écrit des vers tristes qui finissaient par « coeur », « pleurs », « mignon » et « pendaison »;
je pense aussi à toi Stéphane, qui avais sorti tes crayons de couleurs pour l’occasion, toi qui coloriais pas si mal pour un collégien de 18 ans,

à toi Sophie, que j’aimais secrètement et qui m’as écrit que j’étais « sympa »,

à toi Salah, qui m’as approximativement dessiné le singe Waïkiki,
à toi Isabel, qui m’as très approximativement dessiné Fido Dido,
à toi Vincent, qui m’as très très approximativement dessiné,

à toi Laeticia, qui m’as écrit partout que tu m’aimais pour toujours et que je n’ai jamais connue,
à toi Julie, qui aimais tant mes « yeux bleus, si bleus comme l’océan » alors qu’en ce temps là déjà j’avais les yeux verts,
à toi Giuseppe, qui m’as mis des photos de célébrités mortes comme Bob Marley, James Dean ou Roch Voisine,
à toi Laurence, que j’aimais secrètement et qui m’as écrit que j’étais « sympa »,
à vous tous qui aimiez bien rigolé avec moi, ah ça oui on a beaucoup rigoler, les autres ont jamais rigolés autant que nous, nous on rigolée plus que les autres,

et à toi Céline, que j’aimais secrètement et qui m’as écrit que j’étais « sympa »…

En ce temps là on en avait rien à foutre de rien, on faisait rimer « liberté » avec « puberté », on dessinait des zizis avec des petites gouttes de pipi, et on riait, on riait… rendez-vous compte, des petites gouttes de pipi… On savait rigoler à l’époque.